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STRADA – septembre 2014
(album déjà disponible)

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01. Périphérique img
02. Valse des géants
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03. Jazbalad img
04. Spiritualimg
05. Mélankolia img
06. Soul kitchenimg
07. Mr Warrenimg
08. Libreimg
09. Hanna Quadisha img
10. Caravan Circus img
11. Trollsimg
12. Quintaphonicimg
13. Sous les étoiles
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L’album est un aérostat sous-marin, une locomotive aérienne, il est aussi ce voile de brume qui sépare et noue les distances, rideau de tulle à la fenêtre de la chambre et brouillard des altitudes. Transpiration moite des fleuves et buée sur la vitre. Réalité, fiction, rêve. Friction des uns par les autres. La forge de Laloy sème ses lancinances, ses respirations superbes. La longue et sonore coque du piano et le steamer de l’accordéon s’entendent sur les portées. Le torse de la respiration et la course des doigts. Les cordes pincées et frappées échangent des miroirs sonores, des vertiges, des illusions fiables. La vérité s’atténue, la fiction devient vraie. Élégants jeux d’estompement et de surimpression, d’évanescence et de présence, clartés nègres. Long et lent mouvement du balancier qui garantit l’avancée de l’équilibriste. L’album est souvent un aéronef plus léger que l’air. Oh oui ! aussi, étirée, flexible, la basse fait des mouvements d’almée en grâce. Elle met son pouls de géante baudelairienne. Le violoncelle vient et revient avec sa voix de tragédienne amoureuse et de chanteuse tzigane, de diva du fado et d’enfant de Bach et d’Elgar. Les percussions sèment des morceaux de cristal soluble dans l’air.

Le saxo a l’ondulation presque végétale d’une sirène qui remonterait l’Hudson un soir de pleine lune. Et l’exotisme fait une incursion, lance un semis de fête, de suavité alerte, un ange latino – serré dans un corset de velours rouge – passe et fait tinter ses talons hauts, affiche ses cambrures. Une langueur laisse monter ses vapeurs, une cassolette de benjoin aromatise l’atmosphère. Le violoncelle lui aussi fait entendre de la volupté et de la joie. Le piano est le vaisseau, le violoncelle son mât et une navigation heureuse orchestre leur dialogue. L’oud est là soudain, avec le piano. Orient levé sur la frontière, ferveur, ruissellement lent d’un sirop de soleil. Abeille et bourdon parmi les fleurs d’un jardin suspendu. Un jardin métis. Égrènement de prière et de salut, le bonheur de la rencontre ouvre des mains horizontales, des mains qui frôlent et caressent les lignes et les linges de l’horizon. Vincent reste, dieu merci, un incurable romantique, un ballerin de la scène mélodique, un baladin de l’exquis, un amateur de reflets et de songes, un ami de l’élégance. Seul, avec la précieuse valise de sa mémoire, il roule sur une route qui vient de très loin et respire dans la lumière du présent. Respire un air subtil et bienfaisant enflé non pas d’images mais de métaphores. Le grand Meaulnes semble marcher parmi ces prés sonores. Et puis les lumières s’allument, le chapiteau danse derrière les flambeaux et les lampes, les clowns, les chevaux, les belles acrobates, comme sortis d’une séance de tournage chez Fellini, tournent sur la piste, volent sous le haut ciel de toile, volent dans le ciel de l’enfance, dans le verger où ils font de merveilleuses libellules bleues, de poudreux essors de papillons. Et puis, il faut aller, s’éveiller ou reprendre la route, cesser de peindre et revoir le réel, sortir du poème et entendre les appels au loin, sur la route. Mais le monde de l’album tourne comme une piste au étoiles, le rêve mord la queue du réel, ouroboros sublime dans lequel des grains de vérité s’entendent avec le pollen du jeu, girouette musicale et superbe sensible seulement à l’invention d’un univers vraisemblable, semblable au vrai, pareil au rêve. Parti du fond du dix-neuvième siècle romantique, ample et profond, l’album s’est, - sur un rythme intime et singulier, très personnel, hypnotique-, avancé vers l’âme du chant noir sacré, la nuit sensuelle du jazz, les ensorcellements de l’Amérique latine pour emboîter le pas aux nomades, aux artistes qui ne cessent pas d’aller ou de créer. Est-ce la chambre qui a tourné autour du monde, est-ce le monde qui est entré dans la rotation de la chambre ? S’agit-il d’une chambre aérienne, nantie d’ailes, d’une roue à aube, d’une chambre qui absorbe les échos du monde ?

Cette Strada, je l’attribuerais volontiers à un rêveur. Afin que Vincent mérite la punition sublime que promet Oscar Wilde. Un rêveur, écrit-il, est celui qui ne trouve son chemin qu'au clair de lune et qui, comme punition, aperçoit l'aurore avant les autres hommes.

Denys-Louis Colaux

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